Grève chez Ryanair contre les bas standards de travail. Made simple

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"Ryanair doit changer". Ce message simple, gravé sur les T-shirts dans les tons familiers jaune et bleu de la compagnie, a retentit haut et fort le 28 septembre dernier dans les halls d’aéroports d’au moins sept pays.

Par Sara Lafuente Hernández, Stan De Spiegelaere et Bethany Staunton (ETUI)

Dès 5h30 du matin, les travailleur.euse.s se sont rassemblé.e.s autour de pancartes et de thermos de café pour dénoncer le modèle économique "low fares made simple" de Ryanair, lors d’une grève transnationale sans précédent qui a impliqué des milliers de salariés et entraîné l’annulation de 250 vols en Europe.

Les travailleur.euse.s de Ryanair partagent un diagnostic sur leur situation : leurs conditions de travail sont injustes et c’est la direction irlandaise qui en est responsable. Cette dernière signe des contrats de travail selon le droit du travail irlandais avec des équipages basés en Belgique, en Allemagne, au Portugal ou en Espagne. Ainsi, de nombreux salariés ne peuvent pas bénéficier des conditions de travail (souvent meilleures) garanties par les lois de leur propre pays.

Cependant, ce n’est pas une règle que Ryanair applique uniformément. Pour des raisons pratiques, l’entreprise n’a aucun problème à appliquer le droit polonais à ses employés en Pologne, car le personnel navigant peut y être légalement embauché comme travailleur indépendant, perdant ainsi ses droits syndicaux. Apparemment, certaines législations nationales du travail semblent suffisamment attrayantes pour que Ryanair les applique, mais pas d’autres.

L’action collective de base s’épanouit dans un environnement hostile

Établir une présence syndicale, et encore plus organiser une grève, n’a pas été chose facile à Ryanair. L’entreprise est bien connue pour sa posture ouvertement antisyndicale et ses tactiques d’intimidation. Les lieux de travail de Ryanair sont donc restés hors de portée des syndicats traditionnels pendant longtemps. Mais en fin de compte, les travailleurs à bout, ont utilisé une méthode bien traditionnelle pour exprimer leur mécontentement : la grève.

Techniquement, la plupart des travailleurs ne pouvaient pas se déclarer en grève et ont dû utiliser un jour de congé pour éviter des représailles de la direction. Cependant, il est profondément significatif que malgré 30 ans de menaces de la part de la direction, le personnel de Ryanair ait été capable de s’organiser collectivement, et ce même au niveau transnational. Une grève dans la compagnie aérienne low cost a évidemment des répercussions sur l’entreprise, mais aussi sur des tiers, c’est-à-dire les passagers. Il est intéressant de constater que les passagers en Belgique (même ceux dont les vols ont été annulés) ont soutenu les travailleur.euse.s en grève. D’ailleurs, certains éléments de cette grève rappellent l’énergie des premiers moments du mouvement syndical, avant son institutionnalisation.

Comment les travailleur.euse.s de Ryanair ont-ils développé la solidarité transnationale ?

L’action collective peut unir les travailleur.euse.s au-delà des entreprises et des frontières nationales. La grève de Ryanair en est un bon exemple. Les effectifs de l’entreprise en Belgique, en Espagne ou en Irlande ne sont pas nécessairement belges, espagnols ou irlandais mais ont de nombreuses nationalités. Cette communauté de travail transnationale partage non seulement des conditions de travail précaires similaires, mais aussi des espaces de travail et de vie à proximité de l’aéroport, créant ainsi des liens. Au fil des années, malgré les revers, c’est une forte capacité organisationnelle qui s’est développée au-delà des frontières.

Bien sûr, les stratégies à court terme des travailleur.euse.s peuvent diverger en fonction du contexte. Il serait difficile pour les salariés irlandais de prétendre que la loi irlandaise est juridiquement inappropriée ; celles et ceux de Pologne, ne gagneraient pas grand-chose à lutter pour l’application de leurs normes nationales du travail, plus faibles qu’ailleurs. Ces groupes de travailleur.euse.s peuvent donc trouver plus intéressant de négocier de meilleures conditions ou même de maintenir leurs contrats de droit irlandais.

De plus, certaines bases de Ryanair n’ont pas pu se joindre à l’action, simplement par manque de représentants syndicaux. Néanmoins, les travailleur.euse.s ont globalement réussi à se coordonner au niveau transnational en soulignant le caractère international de la main-d’œuvre, ses problèmes et ses exigences communes. Ce cadrage des enjeux a également amplifié l’impact de l’action à travers l’Europe.

Nous pouvons tirer plusieurs leçons de l’action du personnel de cabine et des pilotes de Ryanair. Premièrement, les travailleur.euse.s peuvent encore s’organiser efficacement et défier la « nouvelle économie », par le bas, comme l’ont également montré les récentes grèves chez Deliveroo et McDonald’s. Deuxièmement, bien que ces travailleur.euse.s ne soient pas des syndicalistes " typiques ", étant jeunes et souvent nouveaux dans l’activisme syndical, leur expérience directe des injustices quotidiennes au travail les rend bien outillés pour lutter pour de meilleures conditions à l’ère de l’" Industrie 4.0 ". Enfin, lorsque les questions sont transnationales, l’action transnationale a tout son sens. Il ne manque qu’une seule pièce dans ce puzzle : les solutions transnationales.

Des solutions au niveau européen sont nécessaires

Dans leur appel à la solidarité, les travailleur.euse.s de Ryanair ont mobilisé toute une gamme de ressources et d’outils. Ils/elles se sont tenus mutuellement informés par le biais des médias sociaux, ont recruté de nouveaux membres, attiré l’attention de la presse et ont trouvé des alliés et des partisans dans les fédérations syndicales locales et internationales, les partis politiques de gauche, le grand public, les autorités nationales et même la Commission européenne. La Cour européenne de Justice a récemment statué que les différends entre Ryanair et son personnel peuvent relever de la juridiction où le travailleur.euse est basé, une décision que les syndicats du transport considèrent comme un revers important pour Ryanair.

S’il est inspirant de voir les travailleur.euse.s combattre l’injustice par l’action transnationale, cela montre aussi que l’Europe n’est pas à la hauteur sur les questions sociales. Cela met également en évidence le fait que le marché commun de l’UE permet l’abus de la part d’employeurs peu scrupuleux qui cherchent à contourner le droit du travail. Certains syndicats exigent donc des solutions harmonisées au niveau européen pour résoudre ce problème. Après tout, l’objectif commun et à long terme des travailleur.euse.s est d’obtenir de meilleures conditions de travail et une meilleure protection sociale, où qu’ils/elles se trouvent. Il est temps que la solidarité entre les pays, manifestée au niveau local, se reflète au niveau de la politique de l’UE.

La diversité des législations nationales du travail a des conséquences différentes pour les multinationales et les travailleur.euse.s dans le marché commun. Alors que les entreprises opèrent librement au-delà des frontières et peuvent choisir les juridictions nationales à leur avantage, les travailleur.euse.s sont beaucoup plus limités. Seule une harmonisation législative des normes sociales pourrait rendre possible une convergence sociale ascendante en Europe et empêcher le dumping social et le « shopping » juridiques aux dépens des travailleurs et travailleuses.

L’enjeu n’est pas la primauté du droit du travail " national ", mais plutôt un examen de la qualité et du contenu du droit du travail dans chaque pays. Et le champ de bataille où se déroulera cette lutte, c’est bien l’Europe.