Nous restons aujourd’hui avec des réponses techniques inopérantes (cf les effets pervers des « marchés du carbone », ou les engagements très faibles de la Commission européenne sur les émissions de CO²), ou alors avec des renvois à la responsabilité individuelle qui ne produisent que culpabilisation et impuissance (je peux mette un gros pull et baisser le chauffage, mais quel sens cela a-t-il si mon gouvernement encourage le maintien de modes de production qui polluent en une seconde mille fois ce que je peux essayer d’épargner en un an … ?)
Pourtant il n’y a plus le moindre doute sur le fait que les émissions de gaz à effet de serre (et plus largement une économie de pillage, de gaspillage et de pollution) sont en train de détruire nos espaces habitables et nos ressources vitales. Face à ce danger, la Conférence de Paris, dans un an, sera déterminante. Si elle échoue, nous aurons manqué un des grands défis de ce temps. Or il y a toutes les chances que Paris échoue1, sauf si un mouvement social très puissant porte une solution qui soit à la fois :
1. Une option politique d’ensemble (pas un bidule ajouté au système actuel) qui ait un effet réel sur le pillage des ressources et sur la pollution
2. Qui soit financée de façon réaliste (pas une liste de vœux pieux)
3. Qui réponde à la fois à l’urgence écologique et aux besoins de base des travailleurs et des précaires, dans les pays pauvres mais aussi dans les pays riches. Demander aux travailleurs de choisir entre d’une part le climat et d’autre part leur job, leur salaire, la sécurité d’existence de leur famille, c’est se condamner à perdre les deux.
Dans ce contexte, il semble encourageant que des plans soient publiés, sur base du double constat suivant :
- l’austérité échoue économiquement après avoir ravagé socialement de nombreux pays – et donc il y a une demande, même dans les milieux patronaux et financiers, pour investir massivement
- le sauvetage des banques a démontré que, quand les gouvernement le veulent vraiment, trouver de l’argent (beaucoup beaucoup d’argent !) n’est pas un problème…
La première question est évidemment de mesurer en quoi ces plans répondent aux 3 conditions proposées ci-dessus. Nous présentons ici une courte analyse de deux projets : le plan « une nouvelle voie pour l’Europe » proposé par la CES, et la proposition « mille milliards pour le climat » avancée par Pierre Larrouturou. Le détail de ces propositions peut être trouvé sur les sites mentionnés (voir ci-dessous).
Il restera une seconde question, qui se pose aux mouvement sociaux partout dans le monde, et donc se pose de façon claire à l’Alter Sommet et à ses membres : si un plan adéquat existe, y aura-t-il la mobilisation puissante, de longue haleine (donc dès à présent), fortement coordonnée, pour l’imposer ? Ce dont nous avons besoin en définitive, ce n’est pas un « plan », mais bien une planète !
Reste à voir quelle coalition large et réellement européenne peut se construire sur l’un ou l’autre de ces plans. Et à remarquer qu’à ce stade, aucune des deux propositions décrites ici ne développe beaucoup 3 questions qui mériteraient sans doute un débat approfondi dans les mouvements :
1. Que faut-il développer ? Isoler des maisons, certes, mais encore ? Développer des transports ? Lesquels ? Et quelles activités doivent décroître en contrepartie ? Bref, quels sont les objectifs essentiels d’une politique économique de « juste transition »
2. Comment doit se mener le débat démocratique sur ces enjeux de politique économique ? Comment éviter que ce soit uniquement un débat d’experts, peu susceptible de construire un large consensus populaire…
3. Enfin, à l’instar du livre vedette de Tim Jackson il y a 5 ans, et de quasi tous les débats sur la « transition », on ne parle pas ici du moteur central qui commande l’économie de gaspillage et de destruction : le besoin insatiable d’accumulation du capital. Sans doute ne peut-on pas tout demander à une proposition… mais vouloir la transition sans chercher les moyens de mettre le capital à la raison, n’est-ce pas un peu comme arroser l’incendie sans arrêter les pyromanes ?
Par Felipe Van Keirsbilck
Le plan de la CES, une nouvelle voie pour l’Europe
La CES part du constat d’échec total des politiques d’austérité : « Salaires moyens en baisse dans 18 États membres de l’UE ces 5 dernières années, pauvreté et inégalités croissantes : la réponse de l’UE et des gouvernements européens à la crise financière et de la dette a été de couper dans les dépenses publiques (…) » La CES veut croire que même les dirigeants de l’UE prennent conscience de cet échec : « La croissance économique est proche de zéro. L’économie se contracte en Allemagne, elle stagne en France et l’Italie connaît une nouvelle récession. Les responsables européens commencent à réaliser que l’austérité ne fonctionne pas. » Sur cette base elle propose un objectif d’investissement de 2% du PIB de l’UE sur une période de dix ans, soit environ 10 x 250 milliards € pour « un plan d’investissement massif associant fonds publics et privés est nécessaire au niveau européen et national »
Des milliards pour faire quoi ? La CES dresse une liste d’investissements possibles :
• Transformation d’énergie ;
• Réseaux et infrastructures de transport ;
• Éducation et formation ;
• Développement des réseaux à large bande ;
• Avenir industriel soutien conditionné aux PME ;
• Services publics et privés (par ex. rénovation urbaine, santé et protection sociale) ;
• Infrastructures et logements adaptés pour personnes âgées ;
• Logements sociaux ;
• Promotion d’une gestion durable de l’eau.
Mille milliards € pour « Sauver le climat »
P. Larrouturou prend un autre point de départ, celui de la création monétaire : « pour sauver les banques, la Banque Centrale Européenne a mis 1000 milliards sur la table entre décembre 2011 et janvier 2012. En juillet 2014, la BCE a annoncé qu’elle allait de nouveau mettre 1000 milliards sur la table à taux « zéro ». Puisqu’on l’a fait pour les banques, on peut le faire pour le climat, faire baisser nos factures et créer des emplois … » Il rappelle « qu’en dix ans, plus de 2 600 milliards ont été créés par les banques privées et pour les banques privées – et plus rien par les Etats. Il est temps de remettre la création monétaire au service du bien commun plutôt qu’au service des banques », et propose un pacte « qui permettrait à chaque État d’emprunter chaque année pendant 20 ans 1% de son PIB à taux 0 auprès de la Banque européenne d’investissement. » On parle donc de montants totaux similaires à ceux évoqués par la CES (ici 125 milliards par an durant 20 ans, la CES parlant de 250 par an durant 10 ans.)
L’idée de relancer la création monétaire publique est de moins en moins tabou (c’est une piste évoquée par le CESE dans son dernier avis sur le financement de la transition énergétique), et serait « possible sans changer les Traités : la BCE peut prêter à la Banque européenne d’investissement qui prêterait ensuite aux États. » Une question demeurerait pourtant : s’endetter à taux zéro, c’est bien, mais c’est quand même s’endetter, ce qui est aujourd’hui interdit à quasi tous les Etats par le sinistre TSCG.
Des milliards pour quoi faire ? Pour isoler les bâtiments, développer les énergies renouvelables et la recherche au niveau européen sur les énergies renouvelables, les transports et l’efficacité énergétique : « la transition énergétique est une chance, elle peut être source d’économies (jusqu’à 1.000 € par ménage et par an, d’après la Commission européenne) et créatrice d’emplois (200.000 emplois à la clef rien qu’en France …) »
Une autre caractéristique de la proposition « sauver le climat » est la volonté de la voir soutenue par des mouvements et des citoyens. L’idée (funeste à mon avis) de passer par une ICE (initiative citoyenne européenne – dispositif prévu par le traité, mais contrôlé et cadenassé par la Commission) a été abandonnée par les porteurs du projet.